En juin 2018, Rebecca a été victime d’un accident sur son lieu de travail, qui a provoqué chez elle une hernie discale lombaire (un problème de santé qui touche le bas du dos). Des opérations chirurgicales ont eu lieu pour tenter d'atténuer la douleur. Mais malgré ces interventions, Rebecca n’a pas obtenu le soulagement espéré. "En discutant avec un neurochirurgien, il s’avère que la seule manière pour pouvoir soulager la douleur, et d'essayer de retrouver un confort de vie, est le placement d’une prothèse discale lombaire", indique-t-elle. "Les douleurs sont latentes, comme un bruit sourd. La douleur a été évaluée par des professionnels à 7/10, de manière constante."
Le 13 janvier dernier, Rebecca avait obtenu un rendez-vous avec un anesthésiste en vue de préparer l'opération pour la pose d'une prothèse discale lombaire (il s'agit d'un implant conçu pour remplacer un disque intervertébral endommagé de la colonne vertébrale (pour rappel, une colonne vertébrale intacte possède 23 disques intervertébraux)).
"Alors que j'étais dans la salle d'attente, avant de rencontrer l'anesthésiste, j’ai reçu un mail du neurochirurgien, qui m’a informé que la prothèse (la mobi-L) qui devait être implantée, et qui serait la seule remboursable (car agréée par l'INAMI), a été retirée du marché européen. C'est ce qu'on m'a dit. Le neurochirurgien m'a dit 'Désolé pour cette mauvaise nouvelle, qui affecte plein de nos patients. Pour plusieurs patients, je dois postposer la chirurgie par manque d’implants remboursés... C’est une situation honteuse, mais on dépend de firmes mondiales, qui prennent des décisions financières sans mesurer l’impact sur le terrain et les patients qui souffrent en conséquence.'"
"On ne m'a pas donné de perspectives ce jour-là", ajoute Rebecca. "La seule chose que je savais, c’est que pour me soulager, il y avait 2.000 euros qui devaient sortir de ma poche", nous a-t-elle dit, quelques jours avant de finalement recevoir une bonne nouvelle.
Le 22 janvier, le Medex (l'Administration de l'Expertise médicale) a apporté une réponse rassurante à Rebecca. Le service public fédéral, chargé de réaliser des expertises médicales dans divers domaines, a dans ses missions le remboursement des frais médicaux liés aux accidents du travail et aux maladies professionnelles pour le personnel du secteur public.
"Suite à votre demande concernant la chirurgie d’arthroplastie discale L5-S1, votre dossier a été soumis à l’avis de notre comité technique pour approbation. Après analyse, ce dernier a marqué son accord pour l’intervention avec la prothèse discale lombaire, la Baguera de la firme Spineaert (ndlr: celle qui aurait pu coûter 2.000 euros à Rebecca car annoncée comme étant non-remboursable)", a indiqué le Medex.
Les entreprises n'ont pas informé qu’elles retiraient cette prothèse du marché
Au-delà de la situation vécue par Rebecca, nous avons voulu répondre à la question "Pourquoi des prothèses sont-elles retirées du marché et peuvent entraîner le report d'opérations ?". Nous avons ainsi interrogé l'INAMI (l'Institut national d'assurance maladie-invalidité).
"Le remboursement est toujours prévu pour les dispositifs qui sont repris sur des "Listes de produits nominatifs admis au remboursement"", précise l'Institut. "Pour y figurer, les distributeurs introduisent un dossier et les produits doivent répondre à des conditions de remboursement. Bien entendu, ce sont aussi les entreprises qui doivent nous informer si elles suppriment un produit du marché."
Parmi les différentes prothèses discales lombaires proposées en Belgique, "seule la Mobidisc ne serait plus disponible. Il reste 5 autres produits remboursés, qui seraient disponibles sur le marché", assure l'INAMI, qui ne donne pas davantage de précisions sur la situation vécu par Rebecca.
En revanche, l'Institut indique que des entreprises n'ont récemment pas informé qu’elles retiraient une prothèse de disque cervicale, et n'ont pas déposé de demande pour supprimer ce produit de la liste des produits remboursables. "Un seul médecin nous a contactés pour nous rapporter la fin de la disponibilité sur le marché de la prothèse Mobi-C", indique Sandrine Bingen, la porte-parole de l'INAMI.
Quelle est la différence entre la prothèse discale lombaire et la prothèse discale cervicale ? La prothèse discale cervicale est implantée dans la région du cou, tandis que la prothèse discale lombaire est placée dans le bas du dos. Les deux interventions chirurgicales visent donc à remplacer un disque intervertébral endommagé.
Pourquoi des entreprises retirent-elles des prothèses du marché? "Après avoir pris contact nous-mêmes avec les entreprises, nous avons reçu l’information qu’elles avaient en effet retiré du marché la prothèse de disque cervicale Mobi-C et leur prothèse de disque Prodisc C, et ce, pour des raisons économiques liées aux entreprises ou parce qu’une nouvelle version du dispositif est disponible (cette nouvelle version devra faire l’objet d’une demande pour être éventuellement reprise sur les listes de produits remboursables). En France, la seule prothèse de disque cervicale remboursée est la Mobi C et, au vu des infos données par l’entreprise, elle continuera d’être distribuée en France pour des raisons économiques", précise l'INAMI.
"Dans la mesure où, en Belgique, nous bénéficions encore d’une prothèse de disque cervicale disponible (la Prestige) et que la Secure C sera remboursée à partir du 1er février, nous pouvons supposer que les besoins devraient pouvoir être couverts. Enfin, nous ne sommes pas au courant de patients qui n’auraient pas pu bénéficier d’une intervention par manque de disponibilité d’une prothèse", déclare Sandrine Bingen.
La pose d'une prothèse discale lombaire n'est pas la panacée
Comment en arrive-t-on à proposer la pose d'une prothèse discale lombaire ? Nous avons posé cette question à Quentin Dewandre, un neurochirurgien au CHU de Liège.
"Premièrement, il faut établir le diagnostic de douleur de dos, d’origine discale. Dans les articulations qui font mal au niveau du dos, il y a les disques intervertébraux, mais il y a aussi les articulations postérieures, ou les articulations entre le sacrum et le bassin, qu’on appelle l’articulation sacro-iliaque. Un diagnostic précis peut ainsi permettre de dire quel disque pose un problème."
La neurochirurgien indique que cette prothèse ne permet pas de résoudre tous les problèmes. Il explique quelles conditions doivent être réunies pour que ce type d'intervention soit envisagée.
"Ce n’est pas parce qu’un patient a un disque abîmé, et qu’il est dans les critères de remboursement qu’il va forcément avoir une prothèse. Il faut rester raisonnable. On réserve une prothèse à quelqu’un qui a un dos quasiment normal, sauf un disque (voire deux), qui fait super mal", poursuit Quentin Dewandre.
"Prenons un exemple: une personne de 50-60 ans, qui a mal au dos, car il a des disques enflammés n’est pas éligible pour la pose d'une prothèse, car il y a dans ce cas-ci tout un tas d’autres problèmes. Et la prothèse n’en solutionnerait qu’un seul. La prothèse n’est pas la panacée. Ce n’est pas comme avoir une prothèse de hanche, où l’affaire est réglée. Pour donner des résultats, il faut que les patients soient très bien sélectionnés."
Il ne faut pas opérer les gens trop tôt
Quentin Dewandre souligne également que ce type d’opération doit être réalisée en dernier recours. "Il faut dire que blesser le dos pour essayer qu’il fasse moins mal, ce n’est déjà pas très logique comme concept. Ce sont toujours des interventions à réserver quand il y a un échec du traitement conservateur, et quand le patient est suffisamment incommodé que pour que ça vaille la peine de prendre les risques d’une intervention."
"Est-ce efficace ? C’est efficace en termes de réduction de la douleur et en termes de maintien de la mobilité. De manière générale, si vous opérez des personnes qui ont un peu mal, vous allez créer une blessure d’une certaine lourdeur. Il ne faut donc pas s’attendre à avoir un résultat mirobolant. Tandis que si vous avez quelqu’un qui va vraiment très mal, même si vous allez amener une blessure chirurgicale qui est significative, il va aller bien mieux après son opération. Il ne faut pas opérer les gens trop tôt. Il faut les opérer quand ça ne va plus. En général, je décide de proposer l’opération quand la douleur d’origine discale est telle que les patients en arrivent à avoir des insomnies. Là, on aura un résultat tout à fait intéressant, à chaque fois."
Cette opération est pratiquée des centaines de fois chaque année en Belgique, indique Quentin Dewandre. A propos du retrait du marché de certaines prothèses, le spécialiste livre son point de vue.
"On est un tout petit pays face à des firmes qui ont un retentissement mondial. Si en Belgique, le législateur dit à la firme 'On veut bien rembourser les prothèses, mais on les rembourse 1.500 euros…', la firme peut dire, 'Nous, à ces conditions-là, on estime que ce n’est pas nécessaire de venir sur le marché belge, on se concentrera sur les Etats-Unis, la Suisse, et ailleurs. C’est la loi de l’offre et de la demande. C’est régulier que des firmes retirent du matériel, car elles estiment que ça n’est pas suffisamment rentable pour elles. C’est purement commercial. On a déjà eu le cas avec du matériel de synthèse, comme des vis pédiculaires. Cela arrive régulièrement dans tous les hôpitaux, dans toutes les disciplines. On est obligé de changer de matériel. Je n’ai pas connu de situation comme celle évoquée par la personne qui a contacté votre rédaction, c’est très rare", conclut-il.
2025-02-03T04:15:40Z