Le 16 avril 2025, la Commission européenne a formellement autorisé un médicament destiné à ralentir les effets précoces de la maladie d’Alzheimer. Cette annonce, attendue comme un tournant, intervient après des années de recherches infructueuses et des débats houleux autour de l’efficacité réelle des traitements amyloïdes.
Le Leqembi (nom commercial du lecanemab) n’est pas un remède miracle. Ce traitement, mis au point par les laboratoires Eisai (Japon) et Biogen (États-Unis), cible spécifiquement les dépôts de protéines bêta-amyloïdes dans le cerveau, un mécanisme suspecté d’être à l’origine du déclin cognitif. Concrètement, il s’agit d’un anticorps monoclonal administré en perfusion intraveineuse toutes les deux semaines.
Selon les données cliniques, ce traitement contre Alzheimer permet une réduction du déclin cognitif de 27 % sur une période de 18 mois, évaluée via l’échelle CDR-SB. Un résultat présenté comme modeste, mais tangible, concernant la mémoire, l’orientation et l’autonomie des patients.
La route vers l’autorisation n’a pas été rectiligne. En juillet 2024, l’Agence européenne des médicaments (EMA) avait émis un avis défavorable à la commercialisation du Leqembi dans l’Union européenne, invoquant des risques sérieux, notamment des cas d’hémorragies cérébrales et d’œdèmes.
Mais après une réévaluation en novembre 2024, l’EMA a finalement recommandé son approbation, à condition de limiter l’usage à une population précise : les patients atteints de troubles cognitifs légers ou de démence précoce ne présentant qu’une seule, voire aucune copie du gène ApoE4. Ce gène, connu pour accroître les risques de forme grave de la maladie d'Alzheimer, est aussi lié à une forte incidence d’effets indésirables lors du traitement.
Selon l’EMA, « parmi les patients traités, 8,9 % ont souffert d’œdèmes cérébraux et 12,9 % d’hémorragies, contre 1,3 % et 6,8 % dans le groupe placebo ». Ces chiffres, bien que supérieurs à la moyenne attendue pour un médicament autorisé, ont été jugés « acceptables » dans ce sous-groupe spécifique, en contrepartie d’un bénéfice clinique réel.
Il serait naïf de voir dans le Leqembi une victoire sans nuance. D’abord, les risques associés sont loin d’être anecdotiques : aux États-Unis, sept décès et trois cas de handicap grave ont été recensés depuis sa mise sur le marché en janvier 2023.
Ensuite, l’accès au traitement reste sévèrement restreint. « Environ 15 % des malades sont génétiquement exclus du protocole », rappelle Anne Le Gall dans France Info. Seuls les patients diagnostiqués très tôt et présentant une accumulation d’amyloïdes peuvent espérer y accéder. Un luxe de précision… que très peu de systèmes de santé européens sont aujourd’hui capables d’offrir sans investissements massifs dans les outils de diagnostic.
Philippe Amouyel, professeur de santé publique au CHU de Lille, résume avec lucidité : « La balance bénéfice-risque reste donc complexe ». Avant d’ajouter : « Cela faisait 25 ans qu'il n'y avait pas eu une telle avancée dans la lutte contre la maladie d'Alzheimer. Nous sommes entrés dans une phase prometteuse de la recherche médicale ».
Si le feu vert européen est une étape cruciale, il ne signifie pas une mise à disposition immédiate en France. Il revient à la Haute Autorité de Santé (HAS) de statuer, dans les prochaines semaines, sur une éventuelle autorisation temporaire d’utilisation. À cela s’ajoute une autre contrainte : un suivi médical rigoureux par IRM sera nécessaire à chaque étape du traitement (avant les 5e, 7e et 14e doses).
Dans un communiqué, l’association France Alzheimer a salué « une avancée incontestable », tout en appelant les autorités à mettre en œuvre « une politique ambitieuse de dépistage précoce ».
Le coût du traitement contre Alzheimer, estimé à 25 000 euros par an, soulève lui aussi des interrogations. À ce tarif, la question de l’équité d’accès ne manquera pas de s’inviter dans le débat. Entre restrictions génétiques, surveillance IRM et protocoles hospitaliers, le Leqembi semble conçu pour un segment ultra-ciblé de la population malade, celui qui a déjà les moyens d’être dépisté et suivi de près.
2025-04-17T08:38:04Z